Nacera Belaza
Danser, une nécessité vitale. Comme respirer. Dans ses pièces, Nacera Belaza poursuit son exploration: sculpter le vide, lui donner un corps, le rendre palpable. “ Ceci n’est pas de la danse, ceci est un trait, un seul mouvement, celui d’échapper à soi…”, indique cette autodidacte née en 1969 dans un hameau proche de Médéa, en Algérie. C’est là aussi qu’elle passe sa petite enfance, avant que sa famille ne s’installe à Reims, 1973. C’est là aussi qu'elle revient chaque été, à la période des mariages, où s’entremêlent les chants des femmes, le son des darboukas et les youyous, lors de soirées que seules éclairent des bougies. Avec la liberté retrouvée auprès d’une famille élargie, chose perdue en France, où elle vit avec ses frères, ses soeurs et ses parents. “Certains s’intègrent, se diluent ; d’autres se replient, par peur de vivre dans un pays sans vraiment y vivre”, raconte la Franco-Algérienne, qui n’a de cesse de creuser le sillon de l’aller-retour entre ses deux patries. Une passerelle indissociable de ses créations et de son engagement dans la transmission et le partage. “Parler du geste de Nacera Belaza, c’est revenir sur ce qui fonde en mémoire son appartenance à une terre, l’Algérie, et à un entre-deux, une mer, la Méditerranée, en ce qu’il est un mi-lieu, à moitié de tout, pris entre deux-rives. Comme si son geste dansé se trouvait en ces bords où le là-bas interroge l’ici où qu’il soit”, écrit Frédérique Villemur dans l’ouvrage qu’elle lui consacre, Nacera Belaza, entre deux rives (Actes Sud). Répétition du geste, lenteur infinie, étirement du temps, ses chorégraphies explorent quelque chose de plus grand, de plus infime aussi : la naissance de la danse. Nacera Belaza la pratique depuis ses 8 ans. Dès que ses parents sortent de l’appartement - car cela lui est strictement interdit -, elle pousse les meubles et se met à danser. “J’ai utilisé mon corps pour pouvoir m’exprimer.” Son rapport à la musique et au corps est spontané. Dès lors, il devient langage.
Face à l’emprisonnement de sa double culture - qui deviendra ensuite sa meilleure alliée -, la jeune danseuse parle à travers son corps. En 1982, elle découvre Michael Jackson et le clip “Billie Jean”. C’est une trainée de poudre. “J’ai vu quelqu’un qui incarnait la voix et l’intime, ça me parlait, ça m’était familier, c’était une langue que je comprenais.” Plus elle grandit, plus les interdits deviennent forts et se referment sur elle. Elle n’a ni le droit de sortir, ni celui de danser. Elle ne peut qu’aller à l’école. Nous sommes dans les années 1990, et le durcissement venu des imams d’Arabie saoudite se fait ressentir. L’étau se resserre, et son désire de liberté devient de plus en plus fort.
Alors qu’elle suit des études de lettre modernes à l’université de Reims, la littérature devient un détonateur fabuleux. Le Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley, lui montre la voie. Il y a deux façons d’explorer le monde: soit on part à sa découverte et on voyage, soit on plonge à l’intérieur de soi. Elle comprend alors qu’elle peut être libre là où elle est. Le voyage devient vertical et la danse une introspection. Minimaliste. Sa quête spirituelle - elle est de confession musulmane - l’empêche de sombrer dans la violence. Jusqu’à la rupture. À 27 ans, elle décide de quitter sa famille, seule. C’est le vertige. Et l’envol. Elle crée sa compagnie en 1989. Son rayonnement est international. En 2015, Nacera Belaza est nommée Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. Pour la première fois, ses amis et sa famille sont rassemblés dans une même pièce. “Mes parents ont pleurés. Puis ma mère m’a dit que je les avais rendus fiers." Ici, et en Algérie. Une consécration après tant d’années de combat. Et de résistances.
Portrait par C.Faye